Chaque année, dans la
masse de romans, je parviens à dénicher une perle. C'est l'occasion
d'en parler, non? En 2012, j'ai eu le coup de foudre pour Mr Peanut de Adam Ross. En 2013, qui débute à peine, c'est sans
conteste Les solidarités mystérieuses de Pascal Quignard qui
sera mon coup de coeur.
Il y a des romans comme
ça - très peu en fait ! - où je m'évade du début à la fin…
tant de beauté passe par les mots, les mots mis bout à bout, dans
le bon sens - du moins le sens que j'aime. Et je lis la dernière
page, je lis le dernier mot, je ferme le livre, et je ne peux plus
bouger… bouleversée par l'émotion, le sourire aux lèvres, la
tête partie, loin, très très loin d'ici. Ca arrive encore et
franchement ça fait du bien ! Vraiment !
Pascal Quignard est un
formidable romancier. J'avais dévoré Villa Amalia et j'ai
littéralement englouti Les solidarités mystérieuses. TOUT,
je dis bien TOUT est enchantement dans ce roman : le récit, les
personnages, le style et surtout, cette manière tellement
particulière de décrire les failles et les fractures que nous
portons tous et cette façon, radicale, qu'ont ses personnages de
"composer" avec.
Côté récit, attendez
vous à vous balader du côté de la Bretagne. A arpenter des petits
villages cachés par les falaises pas loin de Saint-Malo. D'un point
de vue météorologique, il y fait beau et moins beau. Ok. Mais la
nature est là, présente, envahissante. Une sorte de personnage à
elle seule. On y retrouve un peu ce qui a fait le succès des
Déferlantes de Claudie Gallay.
Côté personnage, vous y
découvrirez Claire. La femme en rupture. Celle qui quitte tout pour
retrouver son amant… et sa Bretagne natale. Ici, rien
d'introspectif : vous ne découvriez qui est Claire qu'à travers les
personnes qu'elle aime et qui l'aiment. Ces personnages satellites,
mais essentiels, qui gravitent autour d'elle, qui l'observent, sans
forcément la comprendre, sans forcément tout comprendre, et qui
prendront tour à tour les rennes du récit.
Il y a Simon, son amour
de jeunesse, avec qui, vingt ans après, la flamme, jamais éteinte,
renaît.
Il y a Paul, son frère,
tellement différent d'elle, mais avec qui elle partage les mystères
de l'enfance, la tolérance qu'impose le lien fraternel et le goût
pour les balades sur la lande par tous les temps.
Il y a Juliette, sa
fille, qui après tant d'années vient retrouver cette mère étrange
qui l'a abandonnée.
Il y a aussi tous les
autres, ami(e)s et voisin(e)s qui la côtoient, qui la connaissent…
de près, de loin.
Et il y a surtout la mer,
la lande, les falaises.
Alors que dire de Claire?
C'est une personne angoissée, qui ruissèle de sueur dès que
l'angoisse monte. Une mère qui a abandonné ses enfants. Une femme
aliénée par son amour de jeunesse. Une sœur fidèle et
protectrice. Une femme en rupture, en quête… mais, de quoi,
finalement?
Claire n'est finalement
qu'un prétexte pour Quignard. Il épingle et dissèque son
personnage juste pour nous montrer que les êtres humains que nous
sommes sont totalement en décalage avec les êtres humains que nous
pourrions être. Pourquoi ne pas laisser la douleur ou la joie
envahir nos corps, la nature faire symbiose avec nous, le temps
reprendre le rythme de nos rythmes? Voilà, ce que j'ai lu dans ce
roman là.
Côté style, Quignard
frôle la perfection. Les phrases sont économes. Le vocabulaire
d'une richesse infinie. Le style est précis, sobre, presque rigide…
De cette rigueur naît une émotion "vraie". De ce style
dépouillé naissent les images, les sensations, les émotions.
L'autre grande force de
Quignard, c'est de construire son récit en négatif. Etrangement,
malgré la précision du style, se dégage une part de mystère,
d'ombre, de flou. L'écrivain a une façon de "tourner autour du
pot", de raconter précisément des détails qui ne donnent pas
forcément un éclairage éclairant sur ses personnages. Tout est en
nuance, en décalage. Car finalement, qui connait Claire dans ce
roman?
La structure du roman en
témoigne : le personnage de Claire est "raconté" par ses
proches. C'est un roman choral où tout et tous se resserrent vers
elle… mais cette structure permet aussi de conserver ses zones
d'ombres et de mystères… réalité de notre quotidien en quelque
sorte… Peut-on vraiment comprendre les autres?
Quignard se situe à la
bonne distance pour nous donner à lire l'histoire d'une femme,
brisée par la vie, en rupture avec notre société, là où d'autres
en aurait fait une marginale, voire une folle.
Comme dans Villa
Amalia, Quignard choisit encore un personnage féminin, en
rupture avec "le monde" et ses conventions, en exil, qui
recherche, se perd, se retrouve, se reconstruit d'une manière hors
norme. La nature est encore présente. Elle est aidante, calmante,
salvatrice dans ce processus. Elle est un personnage en soi. Une
symbiose s'instaure entre ses personnages et cette nature là, peu à
peu. Le temps joue aussi un rôle déterminant dans cette union,
puisqu'en s'en affranchissant il semble possible de se le
réapproprier… différemment. Enfin, ce roman est un bel hymne à
l'amour. A l'amour tout court. Et à l'amour fraternel surtout. Car
c'est bel et bien avec son frère Paul que Claire entretient une
sorte de "relation élastique", qui, quoi qu'il arrive, les
unit et que rien ne peut ébranler. Voilà donc le canevas de ces «
solidarités mystérieuses ».
Chronique signée Gentille Pestouille
Les Solidarités mystérieuses, de Pascal Quignard, Gallimard, 2011, 272 p.
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