Pourquoi
coïncidence, donc ? J'ai commencé le livre hier soir dans un
cabinet médical – n'allez pas croire que j'aie pu déceler une
coïncidence dans ce simple état de fait, mes perfides et chers
collègues vous diraient que je passe mon temps chez les médecins –
pour le terminer aujourd'hui, date à laquelle le professeur Sicard a
remis à François Hollande son rapport sur la question de la fin de
vie.
La fin
de vie. Le suicide médicalement assisté, c'est là le thème
central abordé de manière sensible et juste dans En
souvenir d'André.
Dans
un futur proche, l'aide médicale au suicide a été légalisée.
Emmanuel, ancien médecin à l'Unité de la douleur, est atteint d'un
cancer et reçoit chez lui la visite d'un volontaire chargé de
l'accompagner dans ses derniers instants. A cette occasion, il
raconte ses souvenirs, remonte aux sources de son parcours, des
circonstances qui l'ont amené à aider les gens à mettre fin à
leur jour, quand cela n'était pas encore autorisé.
"Quant
à les aider à choisir le moment de partir, il n'était même pas
permis d'en parler. Les principes comptaient plus que le soulagement
des souffrances."
Il
l'a fait une première fois. Puis une autre, en souvenir d'André.
Puis plein d'autres fois encore. Il restait présent. D'abord pour
soulager la douleur, ensuite, parce que c'était indissociable, pour
écouter et absorber les histoires des uns et des autres.
"J'espère
que je ne vous assomme pas avec toutes ces histoires. Mais nous
n'avons que ça, finalement. Des histoires. Pour nous aider à vivre,
pour nous préparer à mourir."
En
souvenir d'André est un roman qui mérite d'être lu à voix haute.
Martin Winckler a usé ici d'une sobriété stylistique qui restitue
d'une façon assez remarquable la fragilité des êtres qui le
peuplent. Emmanuel s'en fait le témoin grâce à sa mémoire
exceptionnelle. C'est par lui que transitent toutes leurs histoires,
qu'elles nous parviennent avec émotion. Point de pathos pour autant.
La réalité, dans cette fiction, n'est pas loin, on le sait. Elle
n'a pas besoin d'artifices pour s'exprimer dans sa plus absolue
sincérité. A cet effet, Martin Winckler revient donc sur
l'importance de l'écoute du patient, la considération à apporter à
la souffrance et à la nécessité de l'atténuer, sans oublier
l'évolution de la société, une société qui gagnerait à être
plus progressiste, ne serait-ce que pour se recentrer, en ce qui
concerne la fin de vie, sur le respect dû aux personnes et à leur
dignité. Vaste débat qui n'a bien sûr pas fini de faire couler de
l'encre...
Au-delà
de l'aspect romanesque, qu'il serait dommage de dénigrer, il y a fort à parier aussi que ce livre parlera
à beaucoup de monde. Pas seulement parce qu'il traite de la mort,
celle des autres tout comme la nôtre, pas seulement non plus parce
qu'il s'ancre dans un débat de société, mais surtout parce qu'il
peut nous renvoyer à notre propre histoire. Parfois à travers de
petits riens, l'évocation d'un détail, d'une odeur, d'une
situation... Des fragrances de souvenirs qui, au final, rendent ce
roman bouleversant.
En souvenir d'André, de Martin Winckler, POL, 2012, 199 p.
2 commentaires:
J'étais au courant de la parution de ce livre mais je ne m'y étais pas attardée (jamais lu l'auteur). Mais tu en parles de telle manière (dans ton dernier paragraphe en particulier) que je n'oublierai pas d'aller y voir de plus près.
Je conseille toujours de lire "La maladie de Sachs" pour venir à la rencontre de l'auteur. Mais "En souvenir d'André" n'est pas mal non plus pour ça...
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